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Mission mise à l'abri en urgence durant le COVID 19

Updated: Apr 11, 2023

6 Avril 2020

Ceci est écrit moins de 24 heures après une mission avec des collègues bénévoles de l’Adjie pour obtenir un logement d'urgence pour un groupe de mineurs non accompagnés pendant la pandémie COVID19 qui sévit à Paris, la France, l'Europe et le reste du monde. Il y a actuellement plus de 300 mineurs sans-abri à Paris et ses environs (appelés Ile de France). Hier, nous avons essayé d'aider certains d'entre eux à trouver une sécurité même pour un temps.


Photo © Soul Food

Nous avons commencé à la Gare du Nord à 14h. Suite à un tweet en réponse d'un élu, nous alertant sur l'existence d'un gymnase avec un espace réservé aux mineurs non accompagnés, plusieurs volontaires ADJIE avaient déjà contacté de jeunes migrants. La plupart d'entre eux sont récemment arrivés à Paris, donc des appels ont été passés pour passer en revue la situation des jeunes. Parmis ceux qui se trouvaient à la rue, nous leur avons donné rendez-vous ce dimanche 5 avril devant la gare du nord de Paris. Depuis la dernière fois qu'ils ont été contactés, certains des 60 mineurs non accompagnés figurant sur la liste sur laquelle nous travaillions avaient trouvé un logement temporaire non officiel. D'autres restent dans des endroits comme les squats ou des camps de fortune en périphérie de Paris, avec des options de transport réduites (du fait des mesures de confinement françaises). Ces derniers n’ont pas pu se déplacer. Certains n’avaient aucun crédit sur leur téléphone pour répondre. Un jeune migrant a une blessure très grave et n’a pas pu se déplacer. Nous devrons trouver un autre moyen pour les mettre à l’abri ultérieurement.

Alors que les bénévoles et les jeunes migrants se sont rassemblés devant la gare dimanche après-midi, nous avons tous fait de notre mieux pour respecter les mesures de confinement, qui nécessitent une distanciation sociale d’un mètre. Nous nous sommes tenus à l'écart les uns des autres, certains se sont même tenus de l'autre côté de la rue, et aussi vite que possible, nous avons fait un appel nominal et commencé à diviser les gens en petits groupes. Une quinzaine de mineurs non accompagnés étaient présents. Afin de réaliser le déplacement jusqu’au commissariat, un volontaire s’est attribué 2 à 3 jeunes migrants. L’idée était de respecter les “règles” apparemment appliquées en France en temps de confinement qui stipule que les groupes ne sont pas autorisés à se réunir. Nous avons espacé nos départs et quelques bénévoles ont attendu pour s'assurer qu'aucun autre jeune migrant n'arrivait.


Photo © Soul Food

Au moment où les derniers d'entre nous étaient sur le point de partir, nous avons été approchés par trois policiers (CRS). Ils ont immédiatement commencé à nous poser des questions. Alors que nous répondions, ils nous ont demandé de leur montrer nos « attestation de déplacement ». Nous avons expliqué notre mission (élu, consignes de la ville de paris, gymnase, mineurs à la rue, etc.). En effet la personne responsable de ce gymnase à la ville de Paris nous avait informés que nous devions accompagner tous les mineurs qui ont besoin d'un abri jusqu’à commissariat de police, afin qu'ils puissent être « autorisés » à entrer dans le gymnase dédié. Les CRS ne se sont adressés qu'aux trois bénévoles de l’Adjie, et non aux quatre à cinq adolescents ouest-africains qui se tenaient suffisamment près de nous pour laisser voir que nous étions ensemble, mais assez loin pour se conformer aux exigences de distanciation sociale. C'était comme si nous étions une sorte de tampon pour eux. Ce fut peut-être le seul aspect « positif » de l'expérience. Alors que nous expliquions notre présence et ce que nous faisions, les trois agents semblaient perplexes et celui qui avait nos attestations de déplacement s'est plaint que deux d'entre elles n'étaient pas régulières car l'heure à laquelle nous avons quitté notre domicile n'était pas indiquée. Un officier portant un masque s'est écarté pour utiliser son talkie-walkie pour contacter ses collègues. Vraisemblablement, ils voulaient vérifier notre histoire. La rencontre a duré environ 25 minutes, au cours desquelles un officier nous a demandé si nous savons comment les évaluations de l'âge des adolescents migrants sont effectuées (« oui », avons-nous répondu, « et les professionnels et les médecins pensent qu'ils sont obsolètes et inexacts du fait d’une marge d'erreur d’au moins 2 ans »), et le troisième nous a fait savoir qu'ils étaient stressés ce jour-là, car de nombreux parisiens seraient probablement en train de profiter du beau temps, et il ressentait le besoin de faire des commentaires tels que: « Je n'en vois qu’un mineur là-bas, parmi les 4. » Deux d'entre nous ont été menacés de 135 € d'amende, et on nous a dit que leurs collègues du commissariat ne savaient pas que nous étions en route. Après avoir réexpliqué notre mission (et le fait qu'il était normal que leurs collègues ne nous attendent pas), ils ont finalement décidé de nous laisser partir, avec des remarques suivant lesquelles même si notre raison d'être dehors par une journée ensoleillée est noble, nous devront respecter les règles de confinement (aider les personnes vulnérables dans le besoin est officiellement l'une des raisons justifiées pour sortir du confinement). Ils nous ont dit qu'ils n'étaient pas vraiment sûrs de savoir comment nous pourrions accomplir des missions similaires à l'avenir en respectant ces règles, mais que nous devrons à l’avenir trouver un autre moyen. L'heure fut ajoutée par un des policiers sur deux des attestations de déplacement (valable pour 1 heure), et nous étions en route. Un groupe de 3 est parti en premier, suivi du dernier groupe de 4 personnes.

En descendant dans le métro, nous sommes restés en contact avec nos camarades qui étaient déjà arrivés au commissariat. Apparemment, les policiers n'étaient pas sûrs de la façon de procéder. Ils ont fait référence à une procédure qui est effectuée pendant les périodes normales de non-confinement lorsque l'entité (le DEMIE – émanation de la Croix-Rouge) qui est chargée d'évaluer l'âge des mineurs non accompagnés (au cours d’un entretien et d’une évaluation des documents ou comme souvent d’un simple regard) est ouvert et fonctionne. Lorsque c'est le cas, l’officier de police de garde intervient après 18h après la fermeture du DEMIE. Après avoir appelé quelques fois, les policiers ont compris que le DEMIE étant fermé pendant l’état d’urgence sanitaire, attendre 18h n'était pas nécessaire. Néanmoins, vu les délais de décision de la police, alors que les premiers groupes attendaient toujours un verdict, les deux derniers groupes ont décidé de tenter leur chance dans un autre commissariat (il n'a jamais été spécifié par la police ou le personnel de la ville de Paris en charge du gymnase qu'un commissariat devait être visité plus qu’un autre pour obtenir une mise à l’abri). Pendant que nous voyagions dans le métro presque vide, nous avons mené des entretiens courts et efficaces avec les jeunes migrants. Normalement, nous l'aurions fait lors d'une entrevue en bonne et due forme en permanence, mais malheureusement, les mesures de confinement extrêmes appellent des circonstances extrêmes. L'endroit où nous faisons du bénévolat est fermé depuis plus de trois semaines maintenant, et il était important de comprendre leur situation et leur état d’esprit avant d'entrer au commissariat.


Photo © Soul Food

Alors que nous approchions du commissariat, nous avons vu 4 officiers à l'extérieur de ce qui semblait être un bâtiment complètement fermé au bord de la Seine. Deux étaient sur des roller et deux sur des vélos. La rencontre a débuté de manière amicale alors que nous expliquions pourquoi nous étions là (toujours aussi éloignés que possible). Ils semblaient perplexes jusqu'à ce que l'un d'eux dise qu'il pensait connaître la procédure à laquelle nous nous référions et l'expliquait à ses collègues. Pendant un bref moment, nous nous sommes sentis soulagés, mais ensuite ils ont expliqué qu'il n'était pas possible de le faire là-bas, car ils avaient changé la fonction de ce poste de police pendant la période de confinement et ont suggéré que nous essayions un autre commissariat. Alors que nous partions, l'un des officiers à vélo nous a demandé de répéter le nom du collectif avec lequel nous nous portions volontaires et nous a dit qu'il avait un ami qui faisait aussi du bénévolat dans un association similaire. Il ne connaissait pas le nom de l'organisation, et bien que ses collègues lui aient lancé des regards étranges, nous étions tous heureux de ce bref moment de solidarité. Nous nous sommes tous souri, les avons remerciés et salués.

Nous avons décidé de rejoindre nos camarades au commissariat qu’ils avaient choisi. C'était à environ 10 minutes à pied. Heureusement, ce fut une journée chaude et ensoleillée et comme la plupart d'entre nous n'étions pas sortis ou avaient eu la chance de se promener en quelques semaines, nous étions heureux que notre mission se soit déroulée sous de telles conditions. Alors que nous approchions du commissariat, nous avons vu les autres groupes à l'extérieur et nous nous sommes rapidement joints aux autres. Un ou deux volontaires étaient à l'intérieur, remplissant des formulaires qui correspondaient aux informations figurant sur les actes de naissance des jeunes migrants, tandis que les autres attendaient dehors. Nous avons rassemblé les documents des jeunes des deux derniers groups. En attendant la décision de l’officier de police nous avons distribué des petites collations et les paquets de mouchoirs que certains d'entre nous avait pensé apporter. Ce n'était pas grand-chose, mais c'était mieux que rien. Nous savions que nous allions attendre longtemps et que certains des jeunes auraient très faim.

Nous avons attendu 2 heures devant le commissariat. Tout au long de cette période, nous avons continué de recevoir des informations mitigées de différentes sources. En attendant, deux d'entre nous sont allés voir le fameux gymnase Japy, qui était à proximité. Un agent de sécurité en sueur mais accueillant, qui est en charge le week-end là-bas, nous a dit qu'il avait été appelé au sujet du groupe que nous espérions laisser entre ses mains, mais qu'ils n'avaient de nourriture et de literie que pour 4 autres jeunes (nous avions 12 jeunes migrants avec nous). Nous avons eu un rapide aperçu du gymnase. Il avait l'air spacieux, il y avait des enfants jouant au football, et bien que les gymnases ne soient pas des endroits idéaux pour vivre, en particulier pendant une crise sanitaire, cela semblait mieux que de vivre dans la rue. Pendant ce temps au commissariat, un policier était sorti pour nous informer qu'il n'y avait pas assez d'espace pour les 12 jeunes migrants. La plupart des 2 heures nous les avons attendues sans vraiment savoir ce qui se passerait, car les informations étaient rares. D'autres policiers se sont adressés à nous pour nous demander de respecter les distances et de dire aux jeunes qui étaient visiblement épuisés, qu'ils ne pouvaient pas s'asseoir devant le poste. À un moment donné, l'un des bénévoles a entendu des policiers en pause la traitant de « connasse » et nous critiquant d'avoir amené ces jeunes là-bas en premier lieu. Cela contrastait avec le beau ciel bleu sans nuages, l'importance de notre mission et la jeunesse migrante fatiguée mais affable avec laquelle nous étions, pour un dimanche après-midi mémorable.


Photo © Soul Food

Enfin, après des heures de marche, de réorientation et d'attente, on nous a remis un document officiel (une main courante) qui permettrait aux 12 enfants de rester dans le gymnase jusqu'à la fin de la période de confinement. On nous a dit de les escorter là-bas et qu'ils étaient sous notre responsabilité. A notre arrivée au gymnase nous avons tous senti la chaleur qu’il y faisait. Une fois à l’intérieur l'un d'entre nous a traduit pour un anglophone parmi eux, pendant que les règles étaient expliquées. Les règles étaient vraiment simples - Ils ne sont pas autorisés à sortir au-delà de 5 minutes. Tout retard peut justifier leur expulsion du lieu. C'est à peu près tout. On nous a dit qu'un médecin de la Croix-Rouge viendrait le matin pour s'assurer qu'ils ne présentaient aucun symptôme du COVID 19 (avant cela, ils seraient tenus à l'écart des quelques 12 autres jeunes qui étaient présents et déjà déclarés en bonne santé) et qu'une éducatrice serait là pour discuter de tout problème qu'ils pourraient avoir. Certains d'entre eux semblaient incertains alors que nous nous préparions à partir. Peut-être qu'après notre mission, qui a duré un après-midi entier, ainsi que les appels téléphoniques des semaines précédentes, ils ont eu l'impression que nous étions leur sécurité, et ils n'étaient pas sûrs que l'on puisse en dire autant des personnes travaillant dans la salle de gym presque vide. En partant, nous leur avons assuré qu'ils pouvaient nous appeler s'ils avaient besoin de quelque chose et que ce serait mieux que de dormir dans la rue. Vers 18h, nous les avons laissés dans l'espoir qu'ils iraient bien et prévoyons déjà les prochaines étapes (contacter les avocats, écrire aux juges, etc.) pour assurer leur sécurité, même après la fin de la période de confinement.

 

Bien que ce message se termine ici, malheureusement ce n’est pas le cas de notre mission. Aujourd'hui, l'un des 12 jeunes a appelé un bénévole pour dire que la plupart des jeunes migrants que nous avons emmenés au gymnase ont été informés qu'ils seraient expulsés du gymnase. Après quelques appels téléphoniques, il semble que certains pourront rester et que d'autres n'auront d’autre choix que de partir. La justification officielle est le résultat de leur première évaluation au DEMIE à la suite de laquelle ils étaient considérés comme âgés de plus de 18 ans. La plupart de notre travail à l’ADJIE consiste à attaquer ce type de décisions du DEMIE. Cependant, lors du confinement, nous ne pouvons pas aller à ADJIE pour travailler, les systèmes judiciaires ne fonctionnent pas normalement et dans l'ensemble, il y a moins de ressources disponibles pour les jeunes vivant dans la rue. En outre, comme nous l'avons nous-mêmes expérimenté, les autorités qui travaillent pendant le confinement sont souvent mal informées et incapables de mettre en œuvre un dispositif efficace, sûr et simple, afin que les bénévoles et les personnes vulnérables ne soient pas obligés d’y passer une après-midi entière. Néanmoins, nous n'abandonnerons pas. Une autre mission aura lieu prochainement pour réessayer avec d'autres jeunes migrants et nous continuerons de nous battre pour ceux qui se sont vu refuser une mise à l’abri dans le gymnase. Nous entrons dans la 4ème semaine du confinement en France et il y a encore plus de 300 mineurs non accompagnés vivant dans les rues autour de nous, tandis que les 2,496 gymnases que compte l’Ile-de-France. À juste titre, il pleut aujourd'hui à Paris.


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